lundi 28 février 2011

Obama, allié de la communauté gay

C’est un geste politique majeur en faveur des droits des homosexuels aux Etats-Unis : Barack Obama vient d'annoncer que son administration ne reconnaissait plus la loi fédérale de 1996 définissant le mariage comme la seule union d’un homme et d’une femme. Pour la Maison Blanche, ce texte est « anticonstitutionnel » car il discrimine les couples de même sexe.

Le Président américain a pris position sur cette question dans une lettre envoyée le 23 février par le Secrétaire d’Etat à la Justice Eric Holder au président de la Chambre des représentants, le républicain John Boehner (Ohio). Celle-ci explique que suite à l'examen d’un certain nombre de facteurs, dont un historique détaillé des cas de discriminations, le chef de l’Etat a conclu que « toute classification basée sur l’orientation sexuelle devrait être sujette à des critères de contrôle plus pointus ». Dans ce contexte, la section 3 du « Defense of Marriage Act » exigeant des époux qu'ils soient de sexe opposé s'avère « être en violation du  Vème amendement de la Constitution » qui protège les citoyens contre les abus de l'Etat.

Militant pro-gay le 11 octobre 2009
à Washington (Photo par afagen)
Obama souhaite donc que cette loi, adoptée sous l’ère Clinton par un Congrès majoritairement républicain, « ne soit plus défendue (lors de contentieux portant sur cette question) par les avocats du Département de la Justice ». Toutefois, séparation des pouvoirs oblige, le Président assure que le Marriage Act continuera à être mis en œuvre par l’exécutif tant qu’il n’aura pas été abrogé par le Congrès ou rendu caduc par les tribunaux.

Un geste essentiellement politique

En pratique, la déclaration du Président n’oblige pas les juges à reconnaître le mariage homosexuel - ces derniers restant libres d'interpréter la loi comme bon leur semble. Elle n’en constitue pas moins un signal politique très fort à destination de la communauté gay. Cette décision devrait en outre permettre aux couples homosexuels de porter plus facilement leur cas devant la Cour Suprême au motif que leur droit constitutionnel à la non-discrimination a été violé.

Elle pourrait également accélérer l'évolution de la législation américaine en matière de mariage homosexuel. Pour l’heure, seuls le Connecticut, le Massachusetts, l'Iowa, le New Hampshire, le Vermont et le District de Columbia autorisent le mariage gay alors que trente Etats l'interdisent explicitement. En Californie, l'amendement constitutionnel interdisant le mariage homosexuel a été invalidé mais la décision fait aujourd'hui l'objet d'un appel. De son propre aveu, le Président s’est dit jusqu’à présent plus favorable à l'union civile des gays qu'à leur mariage en tant que tel, mais l'an dernier il a reconnu que son opinion sur le sujet évoluait sans cesse.

Avec cette nouvelle décision, la Maison Blanche fait un pas de plus en faveur des droits des homosexuels aux Etats-Unis. En décembre déjà, l’administration Obama avait réussi à faire abroger par le Congrès sortant la loi dite « Don't ask, don't tell », qui obligeait les militaires gays à taire leur orientation sexuelle sous peine d'être exclus de l'armée et forçait leurs supérieurs à ne pas poser de questions.

Critiques des républicains et des Eglises

Réagissant à la lettre du ministre de la Justice, le président de la Chambre John Boehner a critiqué le moment choisi par Obama pour aborder ce sujet: « Pendant que les Américains réclament que Washington se concentre sur la création d’emplois et la réduction des dépenses, le Président va devoir expliquer pourquoi il estime que c’est le moment approprié pour soulever une question aussi controversée qui divise la nation », a-t-il indiqué. Les Eglises ont également exprimé leur mécontentement face à une décision qui « viole la foi chrétienne ».

De leur côté, les organisations de défense des droits civiques des homosexuels ont applaudi le courage de l'administration Obama et salué cette « manifestation de soutien historique en faveur d'une égalité de traitement des individus devant la loi ». La sénatrice démocrate de Californie Dianne Feinstein a quant à elle annoncé qu'elle allait introduire un projet de loi pour abroger le Marriage Act « une bonne fois pour toutes ».

Alors que le Président vient d’embaucher un homme notoirement gay comme nouveau chef du protocole, nombre de militants homosexuels estiment n’avoir « jamais eu d'allié aussi solide à la Maison Blanche ». Obama sait qu’il pourra compter sur leur soutien lors des élections présidentielles de 2012.

vendredi 25 février 2011

Sursaut populaire dans le Wisconsin

Un vent de révolution souffle sur le Wisconsin. Depuis dix jours, des dizaines de milliers de fonctionnaires manifestent contre le projet de loi du gouverneur républicain Scott Walker visant à réduire drastiquement leur droit de négocier des conventions collectives. Un épisode historique dans le pays qui témoigne de la frustration profonde d’une partie de la population affaiblie par la crise.

Manifestation de travailleurs à Madison
(crédit: CindyH Photography)
Depuis qu’ils campent dans le grand hall d'entrée du parlement de Madison, la capitale de l'Etat, les grévistes n’ont pas hésité à brandir des slogans se référant aux révolutions qui embrasent actuellement le monde arabe. « Hosni Walker », peut-on ainsi lire sur les pancartes, ou encore « Si l’Egypte peut avoir une démocratie, pourquoi le Wisconsin ne le peut pas ? ». Internet est également mis à contribution puisque le site http://www.minimubarak.com/ a été créé la semaine dernière au moment où le gouverneur Walker menaçait de faire appel aux gardes nationaux pour disperser la foule.

Ce qui a mis le feu aux poudres dans cet Etat glacial du nord des Etats-Unis c'est la proposition de loi du gouverneur conservateur d’augmenter de 8% en moyenne les cotisations retraite et santé des fonctionnaires et de réduire comme peau de chagrin le pouvoir des syndicats de négocier avec les employeurs des conventions collectives. Le texte vise aussi à instaurer un système dans lequel les salariés voteraient chaque année pour dire s'ils continuent à adhérer aux syndicats. 

Elu le 2 novembre dernier (37 gouverneurs d’Etat étaient renouvelés en même temps que se tenaient les élections de mi-mandat du Congrès fédéral), Scott Walker justifie ce texte par le besoin urgent de réduire le déficit budgétaire colossal de son Etat qui frise les 137 millions de dollars. Sauf que s’en prendre aussi brutalement à 50 ans d'acquis sociaux ne pouvait rester sans réaction. Des dizaines de milliers de fonctionnaires, dont les professeurs et les pompiers, se sont ainsi mis en grève dès l’annonce du projet de loi - leur nombre atteignant jusqu’à 68 000 personnes dans la rue samedi dernier. Les manifestants arguent que ce n’est pas la suppression des droits syndicaux qui va combler le trou du déficit. De plus, si ce trou est si massif c’est parce que Walker l'a aggravé en réclamant dès son arrivée des baisses d’impôts d’une valeur de 140 millions de dollars principalement destinées aux plus aisés.

Les sénateurs démocrates locaux s'enfuient 

Face à cette contestation populaire reprise sur toutes les télévisions du pays, le gouverneur soutenu par le Tea Party n'a toujours pas bougé. Au contraire : enregistré sans le savoir lors d’une conversation téléphonique, il a laissé entendre que ce n’était que le début de nombreuses batailles, que d’autres gouverneurs républicains avaient l’intention de proposer des mesures similaires notamment dans l’Ohio et que le « moment » était venu « de changer le cours de l’histoire ». Walker, qui a reçu lors d’une conférence mercredi une véritable standing ovation de la part des groupes industriels les plus puissants du Wisconsin, a par ailleurs averti publiquement que les syndicats devraient faire des concessions sinon quelque 6000 fonctionnaires pourraient être licenciés.

Les syndicats, qui ne représentent qu’un petit pourcentage des manifestants, ont répliqué qu’ils étaient prêts à faire des sacrifices sur les prestations sociales mais ont catégoriquement refusé de céder sur la question des conventions collectives. Défendant ce même point de vue, les 14 élus démocrates du Sénat local se sont quant à eux littéralement enfuis du Wisconsin pour se cacher dans un autre Etat - en l’occurrence l’Illinois voisin - afin que la Chambre haute locale n’ait pas le quorum nécessaire pour mettre aux voix le projet de loi. Les 19 élus républicains du Sénat sont furieux car le quorum est de 20 personnes. Ils ont bien tenté de lancer la police aux trousses des fugitifs pour essayer d’en récupérer au moins un, mais en vain. Une situation quasi ubuesque…

Alors que l'assemblée locale a adopté le projet de loi jeudi soir et que le texte doit à présent être transmis au Sénat, les 14 sénateurs démocrates restent le dernier espoir des manifestants. Ils ont fait savoir qu'ils ne reviendraient que lorsque Walker accepterait de lâcher du lest et de rechercher un compromis.

Des travailleurs harassés et frustrés

L’ensemble de cet épisode, historique pour le pays qui ne connaît que très rarement de telles grèves, illustre plusieurs réalités. Tout d'abord, l'arrogance de certains dirigeants locaux soutenus par de puissants groupes industriels qui pensent pouvoir, sans obstruction, supprimer des décennies d’acquis sociaux au prétexte de la réduction du déficit. Pour le Prix Nobel d'Economie Paul Krugman, ce qui se passe dans le Wisconsin n'est d'ailleurs pas une question de rigueur fiscale mais bien de lutte de pouvoir menée par ceux qui essaient de faire du Wisconsin, et à terme de l'Amérique, « moins une démocratie qui fonctionne qu'une oligarchie du tiers monde » (voir l'article du New York Times).

Les événements du Wisconsin témoignent aussi d'un réveil populaire de la part de travailleurs affaiblis par les effets de la crise économique et moralement frustrés d'être toujours les premiers à devoir se serrer la ceinture. Ils révèlent enfin la guerre menée par le parti républicain pour se débarrasser définitivement du monde syndical, aujourd’hui divisé et en effectifs réduits mais demeurant l’une des principales sources de financement et de soutien électoral du parti démocrate.

Le Président Barack Obama n’a jusqu’à présent que faiblement pris position en faveur des syndicats. Il se trouve dans une situation délicate, partagé entre la volonté de soutenir les revendications des travailleurs et de respecter sa promesse de réduire le déficit public du pays. Si toutefois, comme cela est annoncé, de nouvelles grandes manifestations venaient à naître dans les capitales d’autres Etats, il pourrait se voir contraint d'hausser le ton. 

vendredi 18 février 2011

Permis de tuer pour les « pro-vie »

A la consternation générale, l’Etat du Dakota du Sud dans le nord des Etats-Unis a adopté en commission parlementaire un projet de loi qui permettrait de justifier le meurtre de docteurs pratiquant l’avortement. Un véritable droit à tuer défendu par les plus fondamentalistes des activistes « pro-vie ». Face au scandale provoqué par cette annonce, le vote en plénière a été ajourné.

Phil Jensen, l'élu républicain local
à l'initiative du projet de loi
(photo South Dakota Legislature)
La nouvelle est sortie mardi dans le magazine américain Mother Jones avant d'être reprise dans la semaine par toute la presse du pays. Le texte en question, déposé par l’élu républicain local Phil Jensen, propose d’étendre la définition de l’ « homicide justifié » et d’y inclure tout homicide visant à prévenir le meurtre de fœtus. En clair, une personne A peut tuer une personne B si cela permet d’éviter que la personne B n’élimine « l’enfant non né » de la personne A ou de son partenaire, parent, enfant. Le projet de loi a été approuvé en commission (9 pour, 3 contre) et doit à présent être mis aux voix de la plénière de la Chambre de l’Etat, dominée par les républicains. Chaque Etat dispose en effet de sa propre Chambre et de son propre Sénat, différents de la Chambre et du Sénat au niveau fédéral.

Face à l’ampleur du scandale suscité par cette mesure, les législateurs du Dakota du Sud ont toutefois décidé jeudi d’ajourner le vote et de le reporter à une prochaine session plénière. Car si cette loi entre en vigueur, elle autorisera en théorie le père, la mère, le fils, la fille, ou le mari de toute femme de tuer quiconque essaie de pratiquer un avortement sur cette femme, y compris si celle-ci souhaite subir l’avortement. Furieuses, de nombreuses associations de défense du droit à l’avortement ont dénoncé un texte « dangereux » et « ouvertement anticonstitutionnel ». Pour la Fédération nationale de l’avortement, la mesure constitue une « invitation à tuer les pourvoyeurs d’avortement ».

C’est aussi un véritable argument d’auto-défense pour de potentiels extrémistes prêts à aller jusqu’à commettre un meurtre au nom de leurs opinions. Et ils existent bel et bien: depuis 1993, huit docteurs ont été assassinés par des fondamentalistes anti-avortement dans cet Etat ultra conservateur du centre du pays, alors que 17 autres ont été les victimes de tentatives de meurtre. Certains des coupables ont essayé lors de leur procès d’invoquer le principe d’homicide justifié. Mais pour le rapporteur de la loi Phil Jensen, l’objectif de cette proposition est de donner « plus de cohérence » au code criminel du Dakota du Sud, qui permet déjà d’inculper pour homicide involontaire ou meurtre une personne coupable d’un crime résultant par la mort d’un fœtus.

Décourager de pratiquer un avortement

Sauf qu’entre considérer que tuer une femme enceinte est un double meurtre et tenter de créer une loi pour justifier le meurtre de docteurs pratiquant l’avortement, il y a une différence. Le Dakota du Sud dispose actuellement de l’une des législations les plus sévères du pays en matière d’avortement et de l’un des taux d’avortement les plus bas. Depuis 1994, plus aucun médecin ne pratique l’avortement dans cet Etat immense et rural. L’organe équivalent du planning familial fait toutefois venir une fois par semaine un docteur de l’extérieur dans une clinique de Sioux Falls, dans le sud-est de l'Etat, pour traiter certaines patientes.

Les femmes désireuses de pratiquer un avortement doivent alors respecter plusieurs règles, comme recevoir obligatoirement toute une série de conseils ou attendre 24 heures avant de lancer la procédure. Le docteur doit également encourager la personne à regarder l’échographie de son enfant et lui lire un texte déjà tout rédigé afin de la faire réfléchir à deux fois avant de passer à l’acte (le document indique notamment que l’avortement « met un terme à la vie d’un être humain entier, unique et vivant »). Depuis peu, les docteurs sont même poussés à donner des informations erronées en indiquant que l’avortement « accroît les risques de suicide »…

Arrêt de la Cour Suprême de 1973

Le Dakota du Sud a tenté à deux reprises en 2006 et 2008, par référendum, d’interdire complètement l’avortement mais sans succès. Du coup, les activistes « pro-vie » et les législateurs conservateurs tentent par tous les moyens de rendre très difficiles les conditions d’accès à un avortement. D'autres Etats essaient actuellement d'adopter une interdiction totale de l'avortement (sauf si la vie de la mère est en danger), par exemple le Mississipi ou le Missouri.

Si de telles interdictions étaient votées, elles garderaient une forte portée politique mais ne seraient pas juridiquement valides. Il faudrait attendre pour qu'elles le deviennent que l’arrêt de la Cour Suprême du 22 janvier 1973 soit renversé. Cet arrêt prévoit que la liberté personnelle et la protection de la sphère privée comprennent le droit de la femme de décider dans les six premiers mois de l'interruption d'une grossesse. A plusieurs reprises au cours de ces trente dernières années, la Cour Suprême a eu l'occasion de se pencher sur cet arrêt Roe v. Wade mais si des modifications ont été apportées pour rendre plus difficile l'avortement, le principe de base a été maintenu. 

mercredi 16 février 2011

Le budget de la discorde

Les négociations budgétaires vont être le sujet de tension de ces prochaines semaines entre la Maison Blanche et le Congrès. Les coupes proposées par le Président en 2012 sont loin de satisfaire les élus républicains qui les jugent insuffisantes et irresponsables face à la dette du pays. Ces derniers essaient en parallèle de couper 61 milliards de dollars de dépenses fédérales en 2011.

Le démocrate Barack Obama a présenté mardi devant la Chambre puis le Sénat son projet de budget pour l’année fiscale 2012, qui démarre le 1er octobre. Le texte prévoit un montant de 3,7 trillions de dollars avec des investissements dans de nombreux chantiers annoncés par le chef de l’Etat dans son discours sur l’état de l’Union le 25 janvier (voir article antérieur). C’est le cas de l’éducation, des énergies dites « propres », de la recherche ou des infrastructures avec notamment le projet de construction d’un train à grande vitesse et une initiative visant à rendre plus efficaces les réseaux Internet sans fil. Autant de domaines considérés comme « nécessaires pour assurer notre futur » et aider les entreprises américaines à rester « compétitives », selon les mots du Président.

Le projet de budget 2012: l'énorme document
fait plusieurs milliers de pages  (Photo R.P.)
Le projet de loi avance par ailleurs d’importantes coupes budgétaires afin de rétrécir le déficit colossal du pays qui, en 2011, devrait friser les 1650 milliards de dollars (10,9% du PIB !). Les réductions portent sur la suppression ou la suspension de 200 programmes fédéraux jugés inefficaces, obsolètes ou duplicatifs. Obama propose en outre un gel de cinq ans du budget de nombreuses agences gouvernementales et une diminution de 78 milliards sur cinq ans des dépenses pour le Pentagone. Le Président reconnaît que certaines coupes ont été « douloureuses » car elles touchent à des secteurs défendus par son administration comme les allocations pour le chauffage des foyers défavorisés, les bourses d’enseignement supérieur ou certains aspects du programme Medicare pour les personnes âgées. Mais selon lui « atteindre nos objectifs fiscaux nécessite des sacrifices de la part de tous ».

Si deux tiers des économies proposées viennent de réductions de dépenses, un tiers est issu d’augmentations de taxes avec notamment l’élimination des avantages fiscaux dont bénéficiaient jusqu’à présent les groupes pétroliers et gaziers (autre projet annoncé dans le discours sur l’état de l’Union). La Maison Blanche a aussi indiqué qu’elle comptait abandonner en 2012 les réductions d’impôts pour les ménages les plus riches remontant à l’ère Bush. L’objectif global de l’administration Obama est ainsi de réduire le déficit de 1,1 trillion de dollars dans les dix prochaines années.

« Le pays précipité vers la banqueroute »

Face à ces coupes sévères, les plus à gauche des démocrates ont regretté que certains programmes d’aides sociales soient sacrifiés alors que les « millionnaires de Wall Street » continuent de bénéficier de réductions fiscales. Allusion faite au compromis bipartisan décroché en décembre visant à prolonger de deux ans toutes les baisses d’impôts y compris celles des plus riches. Chris Van Hollen, élu démocrate de la commission des budgets de la Chambre (Maryland), estime néanmoins qu’une majorité de démocrates devrait soutenir le gel des dépenses.

Du côté des adversaires républicains, les attaques ont fusé dans tous les sens dès la publication du texte d’Obama lundi. Les critiques portent aussi bien sur les augmentations d’impôts, que sur les nouveaux investissements annoncés, ou sur les réductions de dépenses considérées comme bien trop faibles dans le contexte actuel. « Le Président a échoué à combattre les menaces fiscales et économiques urgentes auxquelles nous faisons face », a lancé le puissant président de la commission des budgets de la Chambre Paul Ryan (Wisconsin), ajoutant que ce projet de loi « précipite le pays vers la banqueroute ». Le leader de la minorité républicaine au Sénat Mitch McConnell (Kentucky) a quant à lui qualifié le texte d’« irresponsable » et de « pas sérieux ».

La Chambre, qui depuis les élections de mi-mandat en novembre est passée aux mains des républicains, va rédiger sa propre résolution sur le budget 2012 d’ici avril. Celle-ci devra être approuvée par le Sénat (encore dominé par les démocrates) pour devenir le programme officiel des dépenses en 2012 sans avoir à être signée par le Président. La bataille est donc lancée et ce, alors même que démocrates et républicains essaient toujours de s'entendre sur le financement des sept derniers mois de l’année fiscale 2011. Ils ont jusqu’au 4 mars pour y parvenir. En décembre, le budget 2011 n’avait en effet été qu’en partie adopté en raison des chamboulements dus à la mise en place du nouveau Congrès.

Risque d’un arrêt du gouvernement ?

Le but des républicains de la Chambre est de faire voter cette semaine une réduction des dépenses pour 2011 de l’ordre de 61 milliards de dollars par rapport à 2010. Les ultraconservateurs du Tea Party, qui ont grandement participé à la victoire des républicains en novembre, ont bataillé ferme pour pousser leurs confrères à être plus agressifs et à porter les coupes à 100 milliards de dollars.

Mais la Maison Blanche estime que ces réductions vont déjà bien trop loin et risquent de miner les fonctions vitales du gouvernement ainsi que les investissements clés dans la croissance économique et la création d’emplois. Si Obama a jusqu’à présent affiché sa volonté de négocier avec le Congrès, il pourrait menacer de poser son veto à la résolution sur le budget 2011. L’épreuve de force devrait se poursuivre avec au final le risque, si aucun accord ne ressort, d’un arrêt du gouvernement durant plusieurs jours comme ce fut le cas sous l’administration Clinton à la fin de l’année 1995.

mercredi 9 février 2011

Un parti républicain écartelé

C’est ce que l’on appelle faire un grand écart : le président de la Chambre des représentants, le républicain modéré John Boehner (Ohio), a déclaré mardi sur une station de radio de Cincinnati qu’il « devrait être considéré comme un membre du Tea Party ». Alors que d’importantes échéances se profilent, ce dernier cherche à reconquérir l'aile la plus conservatrice de son parti pour retrouver un semblant d'unité.

Elu « Speaker of the House » le 5 janvier, Boehner a remplacé au perchoir la démocrate Nancy Pelosi (Californie) suite à la victoire des républicains aux élections de mi-mandat du 2 novembre. L’enthousiasme suscité au sein de la population par le mouvement ultraconservateur du Tea Party - qui appelait durant la campagne à moins d’impôts, moins de dépenses publiques et moins d’intervention de l’Etat - a largement aidé les républicains à battre leurs adversaires cet automne. Sur les 60 sièges supplémentaires qu’ils ont décrochés à la Chambre, 28 étaient en effet soutenus par le Tea Party.

Manifestants anti-Tea Party le 2
octobre à Washington (Photo R.P.)
Un tel raz-de-marée ne pouvait rester sans conséquence sur la cohérence interne du parti. Désireux de faire entendre leur voix et de « respecter les promesses de campagne », de nombreux « freshmen » (nouveaux élus) issus du Tea Party ont depuis janvier commencé à se démarquer du discours traditionnel du GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain). Ils ont notamment reproché à Boehner et ses confrères de ne pas se montrer suffisamment agressifs dans les coupes à opérer sur les dépenses  gouvernementales.

Selon eux, la réduction de 32 milliards de dollars au budget 2011 réclamée par le président républicain de la commission des budgets de la Chambre, Paul Ryan (Wisconsin), ne va pas assez loin comparée au chiffre de 100 milliards brandi par le GOP durant la campagne. Le 25 janvier dernier, les membres du Tea Party ont par ailleurs choisi Michele Bachmann, du Minnesota, pour délivrer leur propre réponse au discours sur l’état de l’Union du Président Obama,  se démarquant ainsi de la voix officielle des républicains portée par Paul Ryan (voir article précédent).

Premier échec des républicains

Hier, cette tension latente a éclaté pour aboutir au premier grand échec du parti républicain depuis qu’il est aux commandes de la Chambre. Suite à la défection d’une partie de ses membres issus essentiellement du Tea Party, le GOP n’est en effet pas parvenu à faire adopter la prolongation du très controversé « Patriot Act ». Cette loi anti-terroriste, signée sous l’administration Bush en 2001 dans la foulée des attentats du 11 septembre, vise notamment à renforcer le pouvoir des agences fédérales telles que le FBI ou la CIA. Ce qui, aux yeux de certains Tea Partiers, est synonyme de trop d’intervention de l’Etat.

Face à ces divisions internes, Boehner tente donc de maintenir un semblant de cohésion. Les propos qu'il a tenus en direct sur l'une des radios locales de son Etat en sont l’illustration. Lors de cette interview, le président de la Chambre a également ajouté qu’il « croyait grandement » aux idées défendues par le Tea Party et qu’il était en contact permanent avec les chefs de ce mouvement né en 2008 au lendemain de l’élection de Barack Obama.

S'ils ne sont pas rapidement dépassés, ces désaccords pourraient devenir un handicap pour le parti républicain lors de la campagne présidentielle qui débutera officiellement en septembre. Déjà, lors de la campagne pour les élections de mi-mandat l'automne dernier, la question de l’influence du Tea Party - dont le nom se réfère aux révoltés américains de 1773 qui avaient jeté des cargaisons de thé à la mer pour protester contre les impôts de l’Empire britannique - faisait débat. 

Le double effet Tea Party

Selon la journaliste du New York Times Kate Zernike, auteur du livre « Boiling Mad » sur le Tea Party, l’ « énergie » suscitée par ce mouvement aux racines populaires demeure contrebalancée par l’ « extrémisme » de ses membres, qui tend à repousser les électeurs modérés. En novembre, on a ainsi pu constater que dans certains Etats les piètres prestations de candidats républicains affiliés Tea party ont été bénéfiques aux démocrates. L'exemple le plus frappant est celui de Christine O’Donnell, concourant pour le Sénat dans le Delaware, qui s’est ridiculisée en démarrant l’un de ses clips de campagne par la phrase « I'm not a witch » (Je ne suis pas une sorcière).

Dans d’autres Etats au contraire, les candidats Tea Party ont su remotiver des électeurs républicains désenchantés grâce à des discours anti-establishment. Et ce, malgré les mises en garde des organisations de défense des droits civiques avertissant que le Tea Party offrait « une plateforme aux antisémites, aux racistes et aux fanatiques » (voir le rapport de la NAACP).

John Boehner devrait  donc continuer à faire des appels du pied à ce mouvement susceptible de ramener des électeurs en 2012 et avec qui il faut désormais compter. Plusieurs élus Tea Party sont d’ailleurs déjà en lice pour les primaires du parti républicain, prévues début 2012.

lundi 7 février 2011

Nouvelle-Orléans: la ville qui plie mais ne rompt pas

Plus de cinq ans après l’ouragan Katrina qui a poussé 200 000 personnes à fuir la Nouvelle-Orléans, la capitale du jazz fondée en 1718 par les Français n’a pas retrouvé le niveau de population qu'elle avait avant la catastrophe et peine à se reconstruire. Mais ses habitants gardent confiance dans l'avenir. 

Jazz et fleur de lys, les deux symboles
de la Nouvelle-Orléans (Photo C.S.)
Dans les rues de la ville, le compte à rebours a commencé: plus que 28 jours avant le lancement des célèbres festivités de Mardi Gras. Cette fête demeure, avec le Festival international de jazz au printemps, l'un des points culminants de la vie culturelle et artistique de la Nouvelle-Orléans. Commerçante au cœur du vieux « Quartier français », Caryl attend avec impatience l'événement qui attire en général beaucoup de touristes. Elle se dit fière de l’identité de sa ville natale et de la force avec laquelle elle s'est remise de l’ouragan Katrina, qui a laissé derrière lui 1330 morts à la fin du mois d’août 2005. 

La maison de Caryl n’a pas été détruite mais elle se rappelle attendre chez elle, dans le noir, en entendant son lustre trembler. Télévisions et téléphones portables ne fonctionnant plus, elle était incapable d’imaginer l’ampleur de la catastrophe. A tel point que lorsque sa sœur résidant à Nashville, Tennessee, est parvenue à la joindre pour la pousser à quitter la ville, elle ne l’a pas immédiatement prise au sérieux. Elle comprit très vite que 85% de la Nouvelle-Orléans avait en fait été envahi par les eaux et que des gens tentaient de survivre en se réfugiant sur le toit de leur maison. Caryl finira par partir vivre chez des proches dans l’Arkansas en attendant que l'électricité soit rétablie et que le calme revienne, des actes de vandalisme ayant commencé à se mêler à la panique ambiante.

Une catastrophe causée par l'homme

Si cette restauratrice a tenu à revenir dans sa ville trois mois plus tard, d’autres ne sont jamais rentrés. Par peur d’un nouvel ouragan ou par manque d’argent pour reconstruire leur maison. D’après les chiffres du recensement de 2010 publiés la semaine dernière, la capitale économique de la Louisiane a ainsi perdu 140 845 résidents soit 29% de sa population par rapport à 2000. Le pourcentage de la population noire a quant à lui chuté de 67,3% à 60,2% - les Africains-Américains des quartiers pauvres de la périphérie ayant été les plus touchés par l’ouragan. Conséquence directe de ces chiffres: l’Etat de Louisiane devrait prochainement se voir amputer d'un siège au Congrès de Washington et ne disposer plus que de six députés au lieu de sept à la Chambre des représentants.

Sculpture réalisée en l'honneur
des victimes (Photo C.S.)
Silva est guide touristique depuis vingt ans. Lors de Katrina, elle n'a cessé de faire des allers-retours avec le bus de sa compagnie pour évacuer des personnes en danger. Aujourd’hui, elle arpente les rues de la ville toujours avec le même bus mais pour montrer désormais aux touristes étrangers les rangées de maisons détruites abandonnées que le gouvernement menace de raser. Les ravages de l’ouragan sont devenus une attraction. A l’origine, l’argent récolté par ces visites guidées était dédié à la reconstruction mais ce n’est plus le cas car la Nouvelle-Orléans a connu entre-temps d’autres catastrophes qui l’ont affaiblie sur le plan économique: la crise financière et la marée noire du golfe du Mexique.

Au volant de son véhicule, Silva dénonce haut et fort ce qu’elle appelle une « tragédie causée par l’homme ». Selon elle en effet, les barrages de protection rénovés entre 2001 et 2003 ont été bâtis de façon totalement inefficace et avec le souci du moindre coût. Elle regrette aussi que la reconstruction traîne dans certains quartiers et qu'à peine un quart des 4200 établissements publics démolis par la tempête ait été remis à neuf. Mais la guide tient à expliquer aux touristes que d’autres quartiers ont à l’inverse repris vie grâce aux efforts des habitants et à la solidarité de bénévoles venus du monde entier.

« Les gens reviendront »

Une centaine de maisons aux façades colorées a notamment été reconstruite pour abriter des musiciens de jazz, cœur de la culture de la Nouvelle-Orléans. « Dans quelques années le tourisme reprendra fortement », insiste-t-elle, convaincue que de la tragédie une nouvelle ville est née, plus forte et plus soudée pour affronter l’avenir. « Les gens reviendront, j’en suis sûre ».

mercredi 2 février 2011

Egypte: Obama pour une transition immédiate

Barack Obama a finalement décidé mardi de prendre ses distances avec le Président égyptien Hosni Mubarak, sans toutefois réclamer explicitement le départ du raïs. L’administration américaine hésite encore entre fermeté et diplomatie à l’égard de ce dirigeant, fidèle allié des Etats-Unis au Proche-Orient.

Dans une intervention courte et diffusée en direct depuis la Maison Blanche, le Président américain a félicité les manifestants anti-Mubarak pour avoir su garder, depuis le début de la crise il y a une semaine, une attitude pacifiste. Il a également salué le « professionnalisme » de l’armée qui a choisi de ne pas intervenir contre la foule et a appelé au respect des libertés fondamentales en Egypte. Prenant ensuite un ton plus ferme, le chef de l’Etat a souligné que le statu quo n’était aujourd'hui plus « tenable » et que la transition de régime devait « commencer maintenant ». Ces propos ont été prononcés tout de suite après une conversation téléphonique de trente minutes avec Hosni Mubarak et alors que le raïs venait d’annoncer qu’il ne se représenterait pas lors des prochaines présidentielles de septembre.

Trouver le bon ton

La déclaration d’Obama marque une première évolution de l’administration américaine qui jusqu'à présent appelait à un changement de régime, mais sans préciser de date, et encourgeait Mubarak à entreprendre des réformes pour répondre aux appels de sa population en colère. Elle illustre en même temps les hésitations de la Maison Blanche dans l'attitude à adopter à l’égard du Président égyptien. Obama n’a ainsi, à aucun moment, prononcer les mots de « démission » ou de « départ anticipé» de Mubarak, et il est resté très prudent dans ses condamnations.

Difficile en effet de choisir le bon ton avec le dirigeant de 82 ans qui, depuis sa prise de pouvoir en 1981, a joué la médiation entre Israël et les Palestiniens malgré sa méfiance à l’égard du Hamas qui entretient des liens avec les Frères Musulmans égyptiens. L’Egypte est en outre un allié très important des Etats-Unis dans la région notamment en matière de lutte contre le terrorisme. Etat le plus peuplé des pays arabes, il fut aussi le premier en 1979 à signer la paix avec Israël, mettant un terme à plus de trente ans de guerre.

Les derniers développements au Caire pourraient toutefois pousser la Maison Blanche à perdre patience et à hausser la voix. Depuis mercredi en effet, des manifestants pro-Mubarak, arrivant en masse et de façon organisée, sont descendus dans les rues pour affronter directement la foule protestataire. Selon les médias sur place, ces hommes seraient des membres des forces de police en civil ainsi que des agents envoyés par le chef de l’Etat lui-même (l’expression utilisée par la presse américaine est « rent-a-crowd », signifiant littéralement : « location de foule »). Alors que la situation tourne au chaos et prend de plus en plus des allures de guerre civile, le porte-parole de la Maison Blanche Robert Gibbs a condamné mercredi ces violences et appelé au calme, répétant à l’adresse de Mubarak que la transition devait avoir lieu « maintenant ».

Les Républicains approuvent à ce stade

Confronté à l’une des situations de crise les plus importantes pour son administration, Obama pourrait faire une nouvelle déclaration dans les prochains jours. Il n’a pour l’instant reçu aucune critique de la part de ses adversaires républicains sur cette question. Le président de la Chambre John Boehner (Ohio) a même indiqué que le chef de l’Etat avait à ce stade eu la réaction qui convenait.